LES ACTUALITÉS DES JARDINS DE BRIÈRE

Boutique - Vergers

LES NUITS DE GLACE Enquête au verger

Gelée noire et nuits blanches

Après des journées ensoleillées et chaudes de mars et même de février, on se dit que ça y est, c’est le printemps, la vie refleurit. La nature et le végétal se disent la même chose que nous ! On a tellement envie d’y croire. Envie d’éclore, de se démasquer, de se précipiter vers les beaux jours et les belles récoltes…Pourtant, l’alarme sonne chez l’arboriculteur, comme sur le Titanic, la température baisse dangereusement, cette nuit d’avril 2021. Parce que le temps est clair et sec, c’est un froid glacial qui s’abat sur le verger. Neuf nuits successives en dessous de zéro suivront ! C’est au lever du jour que le risque est le plus grand, quand l’épuisement ferait bien baisser les bras et la garde. Quand la température baisse par radiation du sol, on parle de gelée blanche. Quand le temps est clair et que le vent se lève au petit matin, c’est la température atmosphérique qui dégringole et le végétal n’aime pas plus que nous ce froid saisissant. C’est la gelée noire.

L’arboriculteur sait ce qui l’attend : il va devoir combattre le froid jusqu’à l’aube. Et ce, 4 nuits durant !

 

L’armée de flammes

Toute la famille est sur le pont…enfin, au verger ! Des salariés viennent même à la rescousse. On sait que la nuit sera longue. La tactique de combat doit être rapide et précise ; sur les zones basses du verger, on dispose les brûlots dans les allées tous les 3 à 6 mètres. Dans la nuit noire, on allume les bougies mais pas le temps de prier. On en allume même une sur deux seulement au début, dès que la température approche des – 2°C, car c’est une course contre la montre pour l’emporter sur le froid glacial menaçant les vergers.

Le coût élevé (1000 €/ha/nuit) et le dégagement de fumées des brûlots obligent à utiliser d’autres armes de lutte.

 

L’eau dans tous ses états

  • Mais alors Nicolas, quand l’armée des bougies sentinelles est limitée en nombre, comment peut-on combattre le gel ?
  • C’est intrigant, mais on passe du gel qui tue à la glace qui protège !
  • Comment ça ?
  • On utilise une carapace de glace, de l’eau en train de geler pour empêcher le gel !

Un des secrets du vivant, c’est le mouvement : quand l’eau passe de l’état liquide à l’état solide, il se produit une fusion qui dégage des calories. C’est cet état d’entre-deux, entre eau et glace qui peut sauver la récolte. Sauf que maintenir ce changement d’état de la matière, pendant toute la durée du gel, donc une bonne partie de la nuit, c’est pas gagné ! Imaginez, chaque soir, rebâtir un micro-igloo pour chaque fleur du verger.

Ce système d’aspersion anti-gel est une technique efficace mais elle a aussi un prix. L’aspersion doit être enclenchée dès – 0,5°C pour ne pas risquer que la température descende trop bas en phase de gel avant fusion ou même que l’eau gèle dans les conduites.

Et une fois l’aspersion lancée, pas question de l’arrêter. Il faut donc se doter d’infrastructures importantes pour pouvoir tout arroser en même temps, avec suffisamment d’eau et au bon débit (35 m3/heure/hectare). Ce qui veut dire des réserves d’eau et des pompes opérationnelles.

Crime presque parfait

Bien sûr on le connaît, ce meurtrier de l’aube, d’autant plus dévastateur qu’il arrive en retard dans la saison, glaçant d’effroi fleurs et espoirs du printemps.
Bien sûr, on sait où il va frapper en général, dans les coins sombres, les cuvettes, les bas de parcelles, là où il peut faire baisser le thermomètre à grande vitesse. Sur une centaine de mètres, on peut passer de de 0 à -4 °C.

Il n’empêche, chaque fois l’angoisse est la même, la peur de perdre la récolte, l’arbitrage cruel et aléatoire pour décider dans l’urgence, quelles parcelles protéger, quelles demoiselles sauver ou sacrifier ?

Pire encore, en apparence, pas d’empreintes ni de traces du crime. Au lever du jour et les jours suivants, le verger peut sembler magnifique. Les fleurs sont là ; les abeilles aussi. Elles butinent comme si rien ne s’était passé….mais il ne se passe hélas plus rien. Au-dedans les ovaires sont noirs, les fleurs sont avortées par le gel. C’est donc à retardement, que l’on mesure l’ampleur des dégâts. On ne sait pas combien de fleurs vont tenir, combien donneront des fruits. On cueillera plus tard seulement les fruits témoins du massacre, déformés ou porteur d’un anneau de gel disgracieux. C’est la double peine : moins de pommes et moins belles à vendre.

En creux de parcelles et en fonction des sensibilités variétales, on sait déjà que la partie basse des rangs est perdue.

 

Attention, le froid peut cacher du trop chaud

Les gelées de printemps sont connues et redoutées depuis longtemps. On se souvient d’une nuit de gel en 1991, en 2017. Ce qui change en 2021, c’est la répétition : pas une mais 4 nuits d’affilée. Le piège plus redoutable encore, c’est peut-être bien les coups de chaud de fin d’hiver, qui donnent des faux départs. Les bouquets à fleurs précocement ouvertes se laissent brûler le cœur. Du coup de chaud au coup de froid, rapides et répétés, c’est la douche écossaise, de quoi y perdre son climat et ne plus savoir sur quel pied germer, ni quand fleurir ou mûrir exactement !

Si on ajoute aux nuits de glace successives, des journées très froides où les insectes  ne sortent pas (pas folle l’abeille !) et donc pas de pollinisation…les pertes, c’est pour notre pomme ! Enfin surtout pour celles de l’arboriculteur, mais aussi pour nous tous car ces gelées tardives ne laissent personne de glace. Elles invitent aujourd’hui plus que jamais, à observer ce qui se passe dans la nature autour de nous. Elles appellent au dégel de nos sens pour mieux prendre en compte les cycles du vivant, que nous avons tout intérêt à reconnaître et intégrer pour durer.

 

Laurence Ramolino – https://www.lentrepriseamoureuse.com/index.html

 

L’équipe des Jardins de Brière

contact@jardinsdebriere.com

02 40 88 30 61